Les Génoires

Grande fût la république de Gênes, mais non moins spectaculaire fut sa descente aux enfers quand ses marchands ramenèrent la Peste Noire de Crimée il y a presque deux siècles. Trop occupés par leur guerre avec Pise et Venise, les Génois tardèrent à prendre la mesure de l’épidémie qui allait ravager toute l’Europe.

Gênes est tombée, de même que les autres grandes cités marchandes. Seuls les familles qui eurent la présence d’esprit d’embarquer rapidement en mer pour des contrées moins exposées purent s’en sortir mais en laissant leur fortune derrière eux. De toute façon, l’or cela ne se mange pas.

Vous êtes les descendants de ces familles dont vous vous targuez d’être les héritiers, allant jusqu’à patiner de noblesse les roturiers qu’étaient vos ancêtres marchands. Est-ce par fatuité ou déni, mais vous ne semblez pas prêter attention au fait que les gens ne vous surnomment plus que les “Génoires”, les Génois de la Peste Noire. Vous n’êtes guère apprécié, tant pour ce passif que pour vos actuelles habitudes vaines. Quand bien même la situation n’est guère reluisante pour personne, vous conservez cette passion pour votre gloire perdue en dépit de ce que les autres appellent le bon sens. Vos tenues par exemple sont des héritages directs des somptueux vêtements de vos arrières, arrières, arrières grands parents mais dont les soies sont depuis longtemps décolorées, les ors ternis et les taffetas croûtés d’un sel séculaire. Vous prêtez encore attention à des choses désormais sans valeur que vous accumulez tel des pies.

Marchands un jour, marchands toujours, vous avez non sans mal continué vos habitudes, ne produisant absolument rien mais profitant des aléas des marchés d’un port à l’autre pour faire tout juste assez de bénéfices pour vos besoins vitaux; et ce, en exportant notamment des ressources variées très locales mais lointaines vers ce qui pouvait rester de fiefs exigeant en matière de variété et de besoins.

Mais cette vie de gagne-petit vous mine. Vous étiez, du moins vos ancêtres, des gens puissants et respectés, des gens incontournables, et vous aspirez à retrouver cette belle vie. Surtout depuis que vous avez entendu à plusieurs reprises ses informations sur l’Orient et ses promesses. Vous n’y avez pas prêté plus d’attention qu’à des mythes d’ivrognes au début, mais ses récits sont revenus bien trop souvent pour que vous puissiez les ignorer.

Vous embarquez sur votre très ancienne Galéasse, votre plus précieux héritage, chasser vous aussi ce mirage.

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